Avant de partir, Pierrot avait obtenu d’Antonia la promesse qu’elle veillerait sur moi : sous aucun prétexte il ne me serait permis de manquer l’école. Je n’avais que trois ou quatre ans et ne fréquentais que l’école maternelle du Mamelon mais Antonia respecta les consignes paternelles jusqu’à son retour. Un jour où je prétextai quelque fatigue fallacieuse, elle n’hésita pas à me prendre sur son dos, grimpant ainsi le raidillon incriminé. La « pédagogie active » de l’époque ne devait pas être étrangère à mes accès de fatigue. Je garde le souvenir d’une matinée de frayeur lorsqu’une voix aigre nous intima l’ordre de nous taire et de
croiser les bras sinon « Je vous coupe les oreilles. » On crut bon de prendre la paire de ciseaux posée sur le bureau, et on actionna l’instrument de manière significative. Un silence terrifié répondit à ces menaces pour le moins drastiques. A l’inverse, Monsieur Madillo, du Cours élémentaire, usait de la mise en confiance comme méthode propre à révéler les potentialités de chacun. Promptement, il perçut mon goût pour les beautés de la langue, ma soif de lecture, et ma curiosité pour l’univers, au-delà du microcosme quotidien. Il sut m’ouvrir à la magie des contes avec Le Merveilleux Voyage de Nils Holgerson, Les Cent et Un matins d’Ernest Perrochon, tout comme à la douceur d’une « Vue d’ Île de France » ; c’était là le titre d’une gravure de mon livre de géographie, le Gallouédec ! La contemplation de ces fraîches collines boisées, la rivière aux rives ombreuses où devaient folâtrer quelques truites joueuses, me plongeait dans un rêve puéril et délicieux à la fois. Je découvris la sérénité d’un Emile Verhaeren qui exaltait l’union des hommes et des paysages de sa terre natale. Jean Richepin, Victor Hugo, d’autres sources me furent offertes pour étancher ma soif d’idées et de poésie. L’arithmétique aussi était inscrite au programme ; comment s’appelait-il déjà l’auteur du manuel ?